Pris d’un remarquable parangonnage* commentatoire au sortir de la lecture de Platonik, dernier roman en date de Nila Kazar, j’ai dû patienter quelques instants (grosso modo multipliés par soixante-mille, puis par quelque autre chiffre encore plus effarant) avant de parvenir à extirper un avis de la substance mollassonne et amorphe qui me tient lieu de cerveau. Il est dans mes habitudes de me cantonner à la [littérature de]** science-fiction au sein de laquelle je me sens nettement plus à l’aise, mais certains écarts de conduite me précipitent dans de perverses lectures dont je ne parviens hélas même pas à rougir ensuite.
C’est ainsi que de Nila Kazar j’aurai lu un recueil de nouvelles (Le Manuscrit et la Mort)*** pas commenté (en raison d’une fâcheuse tendance à apprécier sans m’exprimer, alors que je peux grogner ou glapir avec désespoir quand un bouquin pue), et sautant enfin sur l’occasion de tâter de la Nila romanesque, ce Platonik à la couverture sobrement évocatrice qui me fit aussi songer à la pochette de certain disque consacré à certain compositeur finlandais (les œuvres y étant gravées se mariant d’ailleurs fort bien avec le roman dont il devrait être enfin question ici si je cessais de m’égarer quelques instants).
Afin de livrer tout de suite une de ces platitudes qui font le bonheur de la plupart des auteurs, je vais le clamer en trois mots : j’ai adoré ; et même en cinq : j’ai pris mon pied.
Mais écrit comme ça, c’est un peu court, et même si la taille importe peu, un minimum de turgescence dans le commentaire doit être recommandé, à condition qu’on sache exactement par quel bout le prendre, ce qui peut rester hors de ma portée, mon sens de la synthèse étant aussi limité que mes capacités à traiter les équations relatives à l’oscillateur harmonique quantique à une dimension (oui, ça existe, mais surtout ne me demandez aucune précision sur le sujet).
Il me reste la possibilité de sérier les problèmes (sic) et d’aborder méthodiquement le roman sous ses divers aspects tant formels que sémantiques, psychotextuels et esthétiques. Pardon, je me laisse aller, reprenons sérieusement (c’est vite dit).
Le roman, songé-je, est en partie centré sur cette portion de l’anatomie masculine située exactement ici afin qu’on puisse la protéger des deux mains lors d’une attaque de yorkshire, et sur le rôle qu’elle joue dans la création (littéraire) masculine, le fonctionnement de celle-ci dépendant des humeurs de la cédille, ou les défections de la cédille poussant soit à trouver un substitut (pro)créatif dans l’écriture, soit à trancher la plume du mâle écriveron (plus ou moins lentement, avec plus ou moins de souffrance).
Platonik est tout aussi centré sur les relations qu’entretient pour sa part une sémillante narratrice avec le champ d’expérimentation sexuel, lequel est parcouru (mais est-ce si surprenant ?) d’une manière similaire au champ d’expérimentation textuel (et sans doute pour de mêmes raisons).
Le roman se fonde donc sur un contrepoint narratif qui organise les lignes mélodiques des protagonistes et l’entrecroisement de la thématique sexualité/textualité. Écrire et bai… faire l’amour imposent de se mettre un minimum à poil devant l’autre et devant soi-même, le lien s’impose. Mais quid de l’écriture lorsqu’on ne coïte point ou plus, quelle que soit la raison ? Je ne vais pas vous bassiner avec un examen attentif de cette question, quoique fort peu périphérique, d’abord pour ceux qui ne l’ont pas déjà fait vous avez un roman à lire (donc pas de temps à consacrer à mes élucubrations).
Tout à ma joie exégétique (sic) j’ai omis jusqu’ici d’aborder les questions qui fâcheraient. Le style pour commencer. Il est inconvenant de manier la plume avec autant d’élégance, de finesse, de justesse, d’émotion et d’humour. Voilà, c’est reproché, je suis navré de le dire, mais Nila Kazar écrit trop bien, zut. Mais qu’importe, il y a plus grave : la malheureuse Melinda, personnage secondaire mais crucial, qui se désagrège sous nos yeux tandis que les autres tentent de se saisir ou ressaisir. Créer va de pair avec survivre, or Melinda qui n’a pas cette perspective ne parvient qu’à se raccrocher aux branches, et à ralentir un peu sa chute. Melinda, qui entre dans le contrepoint avec dissonance, est une figure entropique frappée, en quelque sorte, d’un parangonnage de l’âme. Sans Melinda, le roman perdrait du sens. Car au fond est-il bien question de sexe et de texte et n’est-il pas plutôt abordé la question du désir, de son absence ou de sa privation, dont les effets se manifestent selon le cas en écriture ou en cours de mandarin ? N’est-on pas leurré en posant la problématique dans les termes que j’ai moi-même employé jusqu’ici ? Duncan, Laura, Ion, ne s’éclaireraient au fond tout à fait que par la présence de Melinda, que j’avais dit cruciale, mais que je devrais peut-être qualifier d’essentielle.
Je ne sais pas. Je m’interroge. Et, malgré les apparences, plutôt sérieusement.
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* Lire le livre pour comprendre le terme et ses implications. Je déplore d’ailleurs que d’autres aient trouvé judicieux de déflorer le sujet, même si c’était mission impossible de contourner l’impuissance des uns et des autres. Ah, zut, j’ai trahi… Tant pis, faut lire quand même, vu ?
** Par égard pour les abrutis qui considèrent que les genres de l’imaginaire ne sauraient être de la littérature, je mets la mention entre crochets pour qu’ils restent libres de penser que Musso est supérieur à Bradbury.
*** Pas encore Les rivières fantômes ? Non, j’attendrai un jour où le mot « guerre » me fera moins grincer des dents. Ni Sauvée par Shakespeare, mais là je n’ai aucune excuse.
Une fine chronique, mais venant de toi, cela ne peut étonner. Accessoirement, je suis ravie de voir que je n’ai pas été seule à repérer la tendance des yorkshires à mordre aux c…, comme les doberman à la gorge et les danois aux fesses. Étant donné la gravité du risque et de ses conséquences, il faudrait rédiger d’urgence une thèse là-dessus…
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